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Le dragon qui avale la poutre

A la fin d’un excellent week-end passé à Dieppe et ses alentours, je suis allé visiter les églises locales. Il y en a plusieurs pour cette petite ville, et tant l’air marin que la pierre tendre utilisée qui certes a facilité sa sculpture ont fait que les bâtiments ont mal vieillis. En interrogeant la sacristine, sur la fonction d’une petite porte perdue en hauteur, qui en fait permettait au curé de voir son église depuis ses logements, s’en est suivi une discussion passionnée avec une personne charmante amoureuse des lieux.

L’église qui a traversé les siècles, a malheureusement subi d’autres outrages que le temps, puisque nombre de tableaux ont été volés, lors de précédents travaux ou les accès n’avaient pas été sécurisés sur les échafaudages…. La sacristine, après m’avoir fait visiter la sacristie, et ses magnifiques ouvrages en bois comme cet engoulant, un dragon qui avale la poutre :

J’en ai profité pour faire quelques photos d’une de mes passions, le bestiaire, bien avant La Fontaine et ses fables, les animaux nous entouraient dans notre culture. A l’heure du renard mal aimé, on a oublié le roman de Renart qui fut si populaire, au point où le terme renard remplaça le mot goupil. D’ailleurs, l’intérêt pour le renard renaît, puisqu’aujourd’hui on commence à mieux comprendre l’écosystème de la maladie de Lyme, des tiques, des petits mammifères malades, et de l’absence de prédateurs. Mais c’est un autre sujet.

Le récent épisode de Notre Dame a suscité beaucoup d’émotions, et j’espère trouver les mots pour que chacun puisse s’interroger. Passons sur une catégorie de personnes qui s’est franchement réjouie de l’incendie (dont les représentants d’un syndicat étudiant) … je vais me concentrer sur les personnes qui ont été touchées par ce qui est arrivé, au-delà des clivages habituels en France, et également à travers le monde. Il me semble que Notre Dame fait partie de notre psyché commune. Qu’on touche à un symbole vivant de la France, il y a un côté quasi organique.

C’est intéressant, car il y a peu, le représentant de la France disait qu’il n’y avait pas de culture française. La vie ne manque pas de piquant parfois.

Plusieurs problèmes sont liés à la culture moderne, héritée de la réécriture de l’histoire autour du mythe fondateur de la révolution française et des périodes sombres qui auraient précédées. Il faut en finir avec la « légende noire » du moyen-âge, et notamment comment des mythes et contre-vérités ont été propagés. Sur le sujet on pourra lire :

  • Des Gaulois aux Carolingiens (du Ier au IXe siècle) de Bruno Dumézil
  • Le Moyen Age une imposture de Jacques Heers
  • La légende noire du Moyen âge de Claire Colombi
  • Le Moyen Age en questions de Sylvain Gouguenheim

La France a une brillante culture, et c’est d’ailleurs regrettable qu’avec une histoire aussi vieille et aussi riche on ne domine pas l’audiovisuel mondial, nous avons matière à des scénarios de séries à faire pâlir d’envie HBO et Netflix (qui pose d’ailleurs question sur l’utilité de la redevance audiovisuelle). L’auteur de Game of Thrones n’a jamais caché après tout avoir été influencé par nos Rois Maudits.

Autre sujet, et c’est la raison pour laquelle j’ai démarré l’article avec Dieppe. Outre le cas exceptionnel de Notre Dame, la préservation du patrimoine coûte horriblement cher. On pourrait bien entendu débattre sur l’utilité d’un ministère de la culture plutôt que du patrimoine. Mais nous allons dépasser ce débat (et sur le bon usage de l’argent « public » on pourra lire le blogger h16), et essayer de nous interroger sur le fond.

Nous ne vivons pas dans un mausolée. La culture c’est vivant. Dans mes voyages autour du monde, j’observe que la culture culinaire française est vivante et présente. Je peux manger des potatoes sautéed, la langue est vivante car notre art culinaire rayonne.

A contrario, la situation a tellement évolué rapidement notamment à Paris, que désormais il existe le Pari shōkōgun, ou syndrome de Paris. Ce mal psychiatrique touche les personnes dont notamment des touristes japonais, pour qui le choc issu de décalage entre le Paris imaginé et l’expérience réelle est trop violent.

Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer cela ? L’historien Ellul au lendemain de la seconde guerre mondiale était assez pessimiste sur les transformations de la société, et notamment la perte du goût de la liberté « On a pris l’habitude que l’État fasse tout et sitôt que quelque chose va mal, on en rend l’État responsable« . Pour le souverainiste québécois Bock-Côté, le sujet résiderait dans « le multiculturalisme est une inversion du devoir d’intégration« .

Quand je voyage en Asie, certains temples bouddhistes sont devenus des lieux de vie dans certaines villes où l’on a observé un recul de la religion. A partir du moment où les endroits ne sont plus vivants, des lieux de vie tombent dans la poussière. Je n’ai pas de réponse, mais il faut probablement s’interroger sur comment refaire prendre vie à ces lieux, qu’ils redeviennent des lieux de rencontre.

Voir ce que nous pouvons entretenir, et si dans certains cas la solution n’est pas un changement d’usage comme en Belgique où une église a été recyclée en hôtel. Si ces lieux sont à côté de la vie, ou ne concernent qu’une poignée de personnes, leur avenir sera très aléatoire. Ces bâtiments sont notre héritage, de ceux qui nous ont précédé dans la construction de la culture française, de leur savoir-faire et parfois de leur spiritualité, que nous ne comprenons plus dans notre époque parfois uniquement matérialiste.

Je pense également que cette triste histoire est révélatrice d’un mal français, il règne une sorte de déprime en France, comme chez les personnes qui ne s’aiment pas elles-mêmes. Chaque fois que je rentre de mes périples, je suis frappé tant par une sorte de prison mentale que cet état généralisé de déprime. Nous finissons par ne plus voir tout le bien et le Beau. Je pense qu’il est temps de se réconcilier avec notre héritage et culture. C’est cela grandir.

Notre société est également obsédée par le paraître, et néglige l’être. La question n’est pas ce que fait notre voisin de son argent, ni de jouer à un concours d’autoflagellation, de fausse générosité, si certains semblent y satisfaire leur ego, il n’y a aucune satisfaction ou grandeur à en retirer. Mais qu’est-ce que je fais dans la vie en cohérence avec mes convictions ? Soyons les dignes héritiers de ceux qui ont construits ces œuvres qui traversent les siècles. N’attendons pas un deux ex-machina qui nous prenne en main tel un sauveur, et agissons à notre niveau. Ne soyons pas seulement les gardiens de ces œuvres, notre héritage, mais également créons des œuvres qui nous dépasserons, et le champ des possibles est désormais plus vaste tant du point de vue artistique avec les nouveaux medium (je suis en émerveillement absolu devant le cinéma français : les enfants du paradis de Carné ou la Belle et la Bête de Cocteau), qu’également la recherche scientifique et technologique qui a changé la face du monde ou notre compréhension de nous-même et de notre environnement (je pense au microbiologiste Didier Raoult ou encore à notre récent prix Nobel de physique Gérard Mourou dont les travaux nous valent les lasers pour les opérations oculaires, et aujourd’hui il cherche à réduire la vie des déchets radioactifs).

En nous consacrant à une œuvre qui nous dépasse, nous pouvons cheminer parfois certes sur un chemin de solitude, mais également de transcendance. A une époque de perte de repères et parfois de sens, malgré ou à cause paradoxalement de tout le confort et possibilités modernes, nous pouvons à travers nos réalisations retrouver ce sens, et répondre à une aspiration fondamentale de l’Homme. A titre personnel, j’ai l’intime conviction de devenir moi-même à travers mes réalisations et mon cheminement. Quels que soient nos choix : vita brevis, ars longa.

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